TRACES

TRACES 

Il n’y a pas si longtemps, j’ai lu cette phrase dans un livre: “Les corps brûlés ne laissent pas de traces.” La phrase m’a choqué, mon pouls battait plus fort, tremblait, comme si des souvenirs inconnus appelaient l’attention. Je me suis attelé à retracer l’historique de ma famille dont j’ai , sans vraiment le comprendre, ressenti, porté le poids des souffrances, des exils, de l’instabilité des années durant, et fini par reconnaitre que les traces matérielles de son existence sont imperceptibles. Il pleut mais la terre n’est pas mouillée.

Juif italien, français et espagnol du côté de mon père; arménien turc, néerlandais, allemand et russe du côté de ma mère. Peu commun, mon nom de famille se retrouve également au sein de la tribu amérindienne Lakota. Oppressés et oppresseurs. J’ai passé ma vie avec un fort sentiment d’appartenance à ces mondes, sans jamais réussir à vraiment m’enraciner dans une culture ou une autre. 

Ma mère et la sienne ont donné leur corps à la science. De mon père, grands-pères, tantes, grand-mère paternelle, je n’ai aucune trace de leurs restes, aucun objet avec lequel ils vivaient. Le seul carton d’archives que ma mère a laissée contient surtout de nombreux anciens négatifs et diapositives qui représentent des lieux et des personnes que je ne connais pas. Deux arbres généalogiques, maternel et paternel, et l’autobiographie de mon père, qui mentionne à peine l’existence de mon frère et la mienne, complètent l’héritage.

Le feu efface d’abord la couleur, puis la forme des corps. Fumée et poussière, diffusent et transforment la matière et la mémoire… Regarder un feu, entrer dans le temps, mais on ne peut le toucher. Notre histoire nous élabore, elle est supposée nous édifier. Mais lorsque les fondations, la matérialité de cet héritage fait défaut, nous ne pouvons plus que nous accrocher aux liens qui régissent la nature, le vivant comme un ensemble universel.

La série se compose d’une soixantaine de photographies et de plusieurs videos.

 

 

Not long ago I read this sentence in a book, « Burned bodies leave no trace. » The sentence shocked me, my pulse beat faster, shook, as if unknown memories were calling for attention. I set out to retrace the history of my family, whose sufferings, exiles, and instabilities I had felt and carried for years without really understanding it, and finally recognized that the material traces of its existence were imperceptible. It is raining but the earth is not wet.

Italian, French and Spanish Jewish on my father’s side; Turkish Armenian, Dutch, German and Russian on my mother’s side. Unusual, my family name is also found among the Lakota Native American tribe. Oppressed and oppressors. I’ve spent my life with a strong sense of belonging to these worlds, never quite managing to put down roots in one culture or another. 

My mother and her mother gave their bodies to science. Of my father, grandfathers, aunts, paternal grandmother, I have no trace of their remains, no object with which they lived. The only box of archives that my mother left contains mostly old negatives and slides that represent places and people that I do not know. Two family trees, maternal and paternal, and my father’s autobiography, which barely mentions my brother’s existence and mine, complete the legacy.

The fire erases first the color, then the shape of the bodies. Smoke and dust diffuse and transform matter and memory… To look at a fire, to enter into time, but one cannot touch it. Our history elaborates us, it is supposed to build us. But when the foundations, the materiality of this heritage is missing, we can only cling to the links that govern nature, the living as a universal whole.

The series consists of about sixty photographs and several videos.